Paris, le 5 septembre 2012
Cher Richard,
J’avais d’abord pensé écrire un article de type « critique d’art » au sujet de ton intervention, dans le cadre du séminaire, au printemps dernier. Puis je me suis ravisée. Pour moi, ça ne « collait » ni avec ton travail (tu te définis justement comme un « colleur »), ni avec ta conférence. J’ai pas mal tourné autour du pot de colle Cléopâtre — cet objet mythique issu des années 30 qui, depuis, traverse des générations de gamins mettant le nez dedans avec délectation. Ton boulot joue avec le temps, assemble, (re)stratifie, (bri)colle et exhale cette odeur d’amande — simple et fine, plébéienne presque, raffinée. Du Supermarché à Liz Taylor… Quelque chose comme « une archéologie de la petite et, éventuellement, de la grande histoire : collage, recollage, contre-collage » (je te cite).

Bref, depuis que tu es venu à l’école, lorsque je pense au « système Fauguet », me vient le visage de cette étrange Cléopâtre sur le pot et, tel Proust et sa madeleine, le parfum de cette colle-pot (avec la languette intégrée) sort des limbes de l’enfance. Sans nostalgie, des souvenirs entrechoquent les e-mails (toi tu préfères les lettres papier que le facteur délivre).
Je me souviens bien, aussi, des raisons pour lesquelles je t’ai invité dans le cadre du séminaire : ce qui m’intéressait, je te l’avais alors dit au téléphone, était que tu nous montres tes travaux récents et, en particulier, que tu parles de ta pratique, disons singulière, de la céramique — de quelque chose qui, a priori, n’est pas là.

Tu l’as d’ailleurs présentée comme une sorte de « non-pratique », n’étant pas passé par le moule et la cuisson pour réaliser tes pièces. Tu as rappelé que, vivant à Châteauroux depuis de nombreuses années, tu avais d’abord détesté la céramique (à cause des premières éditions de la Biennale), jusqu’au jour où, en chinant, tu es tombé sur le « style Vallauris ».
Les onze personnages que tu as exposés au Plateau en 2009 et les créatures mises en espace dans ta galerie, Art Concept, fin 2011, sont formées d’assemblages de cette vaisselle décorative. Une vaisselle qui est, sinon oubliée, du moins dévalorisée car elle est issue d’une culture populaire, en l’occurrence d’un contexte vernaculaire figurant un véritable contrepoint à l’historiographie du « Picasso de Vallauris ». Liz Taylor et Picasso…
Tandis que, dans les années 50, le mæstro espagnol produisait avec frénésie des assiettes et autres cruches anthropomorphiques — avec un sens de l’espace graphique et sculptural sans précédent — toi, tu as aujourd’hui exhumé ces formes de la terre d’Emmaüs, à la manière d’un archéologue qui trouve, le plus souvent, des bouts de vase ébréchés (bien moins rares et « importants » qu’une amphore signée Exékias). Puis tu les as assemblées, collées, leur donnant un nouveau souffle, une nouvelle vie, drolatique, hybride, mutante, aux accents cartoon.
Face à ces corps de céramique, on revoit, sur la crête du présent, le saladier de sa grand-mère, Picasso, des images d’un Western de John Ford (je pense aussi à Tarantino) et, tu as raison, les couleurs qui se mélangent dans la pâte à modeler. Des époques diverses, des cultures high and low, les formes mêmes se répondent pour tisser un dialogue imaginaire hors de tout critère convenu, abolissant les frontières du « bon » et du « mauvais » goût. Cheap et chic à la fois ! Avec toi, ce que l’on croyait perdu, disparu, invisible, est rendu visible grâce à d’insolites frictions où des bruissements d’anamnèse se diffusent, peu à peu, entre l’intime et le collectif (je pense subitement à la série des « Baloubas » de Tinguely).

De même, ce que tu désignes comme une « non-pratique » de la céramique cache bien un oeil et une technique relevant de ce que j’appellerais, dans ta pratique (finalement), une simple économie de production. Tu crées des rencontres, tu fais les « fonds des tiroirs » (le titre de l’une de tes séries), et il y a aussi la famille des choses que tu fabriques.

